Le mois d’avril 2015 fut un mois de réussite pour le réseau MIHARI. Cinq Aires Marines Protégées (AMP) à gestion communautaire au niveau du réseau ont finalement obtenu leurs décrets de protection définitive après plusieurs années d’attente. Ces nouvelles AMP couvrent des zones à forte importance pour la biodiversité marine ainsi que pour des communautés de pêcheurs traditionnels comprenant Velondriake et Soariake dans le sud-ouest de Madagascar, Ankarea et Ankivonjy dans le nord-ouest, et Ambodivahibe dans le nord.
Ces AMP peuvent être considérées comme les témoins vivants d’un long processus pour l’intégration des communautés locales dans la gestion des ressources naturelles et l’expansion du système des aires protégées à Madagascar. Par ailleurs, elles ont fortement contribué à la réalisation de la Vision Durban en 2003 qui consistait à augmenter la surface des aires protégées du pays de 1.7 millions hectares à 6 millions d’hectares.
Contrairement aux AMP “traditionnelles”, les aires marines protégées gérées localement sont créées à la fois par et pour les communautés locales qui sont fortement dépendantes des ressources naturelles qu’elles génèrent pour leurs subsistances. Ces AMP assurent un bon équilibre entre les utilisations traditionnelles des ressources et la protection de la biodiversité et sont classées dans les catégories 5 ou 6 de l’UICN. L’obtention d’un statut de protection définitive ne crée pas seulement un sens d’appropriation aux communautés côtières, mais sert également de bouclier important pour harmoniser les activités de développement économique dans l’aire protégée en question, tout en contrôlant les activités de pêches industrielles.
Dans le présent article, nous vous emmenons découvrir ces cinq sites exceptionnels de Madagascar en vous partageant leurs histoires et leurs parcours pour devenir une AMP à gestion communautaire…
Velondriake: la première aire marine gérée localement de Madagascar
Velondriake qui signifie “vivre avec la mer” a été mise en place en 2006 et a obtenu son décret de protection temporaire en 2010. Ayant débuté avec la gestion des ressources économiques, tels que les poulpes, l’obtention de statut de protection a été une priorité pour sécuriser les droits des pêcheurs locaux. Après plusieurs années d’attente et de travail assidu de la part de la communauté et de l’ONG Blue Ventures qui les appuie, cette AMP a finalement obtenu son statut de protection définitive (décret 2015-752) le 28 Avril 2015. Outre la fierté des communautés gérant cette AMP, l’un des avantages apportés par l’obtention du statut de protection définitive consiste à l’augmentation du pouvoir du comité de gestion pour mettre en oeuvre le plan d'aménagement et de gestion de l’AMP.
Selon les termes de Samba Roger, le président de l’association Velondriake: “Maintenant que nous sommes reconnus officiellement comme une AMP, nous avons remarqué une forte diminution des infractions extérieures et une meilleure exploitation des ressources. Nous nous sentons soudainement plus forts et avons plus de pouvoirs pour toutes les questions de paperasses en dehors de Velondriake [...]. Une des choses que j’apprécie vraiment depuis l’obtention du statut de protection définitive consiste au fait qu’auparavant les missionnaires viennent dans l’AMP avec un permis d’entrée obtenu auprès du Ministère. Maintenant, ils doivent consulter les communautés locales et demander l’autorisation officielle auprès du comité Velondriake. ”. Il a quand même mentionné que les travaux à faire ont également augmenté depuis l’obtention du statut définitif.
Soariake: le berceau de l’un des plus grands systèmes récifaux du monde
Cette AMP (décret 2015 723) d’une superficie de 38 293 ha est tout comme sa voisine Velondriake située sur le grand récif de Toliara dans le sud-ouest de Madagascar. L’ONG Wildlife Conservation Society (WCS) y travaille depuis 2008 et soutient l’Association Soariake qui est l’organe qui représente les intérêts d’environ 7000 habitants qui vivent autour de l’AMP. Il est reconnu que Soariake possède une deuxième barrière de récif qui est une potentialité exceptionnelle pour la régénération des espèces de coraux. La particularité de cette AMP s’avère dans le fait que ses communautés vivent uniquement de la pêche, pourtant elles étaient très motivées à la création de l’AMP. Toutefois, en ce moment des activités d’algoculture et d’holothuriculture sont en cours de développement dans l’AMP. Soariake est également très avancée en terme de surveillance communautaire avec la présence du CCS ou Comité de Contrôle et de Surveillance.
Ankarea et Ankivonjy: deux AMP soeurs avec une biodiversité exceptionnelle et une forte potentialité touristique
Ankarea (décret 2015 721, mise en place en 2011) et Ankivonjy (décret 2015 722, mise en place en 2010) sont deux AMP voisines dans la région de DIANA au nord-ouest de Madagascar. Avec une superficie totale de 275 096 ha, elles abritent quelques uns des rares refuges restants de l’océan indien occidental pour les dugongs, les requins-baleines, ainsi que le poisson scie et l’aigle pêcheur de Madagascar qui sont tous des espèces menacées. En 2012, ces deux AMP ont été identifiées comme des sites potentiels pour le patrimoine mondial de l’UNESCO. Les communautés locales au sein de ces deux AMP sont reconnues comme étant très dynamiques et motivées dans la conservation des lieux, et jouent un rôle capital dans la gestion de l'aire protegée en concertation avec WCS, le secteur privé et les représentants du gouvernement.
L’AMP d’Ankarea est connue comme ayant l’une des biodiversités les plus riches de l’Océan Indien avec une colonie d’oiseaux marins dans son noyau dur, appelé: “l’ilôt des quatre frères”. Pour le cas d’Ankivonjy, Nosy Iranja, une île au sein de cette AMP est considérée comme le premier site de ponte de tortues vertes et de tortues imbriquées à Madagascar.
Ambodivahibe: redéfinition du concept “aire protégée” dans la perception des communautés locales
Ambodivahibe, d’une superficie de 39 764 ha, se trouve au nord-est de Madagascar et constitue une aire protégée assez importante en terme de biodiversité marine. Elle est composée de quatre villages repartis dans les Communes de Mahavonona et Ramena avec une population totale de 1 845, qui sont pour la plupart des pêcheurs. L’AMP d’Ambodivahibe possède également une zone de résilience au changement climatique élevée au niveau de la baie. Elle a obtenu son statut définitif le 28 avril 2015 (décret 2015 753).
Au tout début de leur collaboration avec les communautés d’Ambodivahibe pour le projet de création d’AMP, l’ONG Conservation International a rencontré certaines difficultés et une réticence de la part de ces derniers. Pourtant, en changeant leur approche en se focalisant d’abord sur les priorités des communautés, notamment la gestion des pêcheries, la situation a pris une tournure positive, d'où la mise en place de l’AMP d’Ambodivahibe en 2009.
D'après Luciano Andriamaro de Conservation International: “Après avoir effectué une visite d’échange à Andavadoaka, un des membres des communautés le plus opposant au départ était convaincu sur la nécessité de protéger les ressources marines. C’était à ce moment que nous avions changé notre approche en appuyant la mise en place des mesures de gestion communautaire et de mettre en place des réserves marines en parallèle avec le processus de mise en place d’aire protégée."
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Un statut définitif, ce n’est qu’une étape…
Chaque acteur travaillant dans la conservation marine à Madagascar nous ont presque partagé la même chose: la protection légale définitive est une grande réussite, mais cela ne sert à rien si la gestion ne marche pas. Pour éviter le risque d’avoir un “Paper park” où la conservation n’existe pas en réalité sur le terrain, il reste encore beaucoup de travail, et les communautés gestionnaires ont encore besoin de beaucoup d’appuis de la part de l’Etat et des partenaires techniques et financiers pour le renforcement de leurs capacités. Le gros du travail commence surtout avec la gestion proprement dite de l’AMP, incluant les divers défis que cela représente.
En appuyant l’obtention de statut définitif d’un triplé d’AMP en même temps, l’ONG Wildlife Conservation Society (WCS) a mené des efforts considérables jusqu'à l'obtention du statut définitif. Pourtant, Lala Ranaivomanana, Coordonnateur du programme marin nous a expliqué qu'il reste encore beaucoup de travails. “Pour que le sentiment d'appropriation puisse se concrétiser en une véritable gestion des AMP par les communautés, les supports et appui soutenus s'avèrent indispensables pour un bon bout de temps, le temps nécessaire pour que les structures communautaires érigées atteignent une certaine maturité.”
La mise en échelle de la gestion marine à Madagascar
La gestion et la protection marine ont une place importante dans l’agenda national du pays après les engagements pris par le Président de la République lors du Congrès mondial des parcs 2014, consistant à tripler la couverture de protection marine de Madagascar. Dans la conservation marine comme la conservation terrestre, les acteurs et décideurs concernés sont tous convaincus que l’implication des communautés locales reste essentielle dans la mise en échelle de la conservation à Madagascar. Cependant, comme les histoires de ces cinq AMP le montrent, les travaux dans l'établissement d'une AMP fonctionnelle suivant les cadres juridiques et des systèmes existants sont considérables. Selon Ny Aina Andrianarivelo de Blue Ventures: “l’obtention de statut de protection définitive est compliquée et prend beaucoup de temps. Pour la plupart des cas, le processus a été ralenti par la disponibilité des acteurs étatiques et par des lourdes procédures administratives. Par ailleurs, les coûts exorbitants de la validation de l'étude d’impact environnemental et du repérage topographique sont ahurissants. Force est de croire que la mise en place d’une AMP n’est pas à la portée des communautés locales sans appui conséquent venant d’un partenaire technique et financier. »
Alors que certains sites tels que les Iles Barrens travaillent encore sur la protection définitive au sein du système des aires protégées, le réseau MIHARI intègre beaucoup plus de communautés engagées dans la gestion locale des ressources, qui seront un atout pour l’atteinte de la Promesse de Sydney, mais pour lesquels les processus administratifs resteront hors de leur portée.
Ny Aina de Blue Ventures de continuer: “Pour atteindre la Promesse de Sydney et assurer la sécurité alimentaire des populations côtières ainsi que la protection de la biodiversité marine, nous avons besoin d’un système législatif plus favorable à la gestion locale, garantissant les droits des pécheurs traditionnels.”